Film Timbuktu d'A. Sissako  : Djihad et football

Film Timbuktu d'A. Sissako  : Djihad et football

En résonance avec l'actualité, le film Timbuktu du réalisateur Abderrahmane Sissako, d'origine mauritanienne et ayant longtemps vécu au Mali, nous en apprend plus sur la réalité djihadiste que nombre de discours émis ces deux dernières semaines après les attentats meurtriers de Paris. Par les moyens de l'art, sans jamais donner de leçon : au spectateur de ressentir la situation et d'exercer sa réflexion.


Un groupe de salafistes armés prend possession de Tombouctou, petite ville au nord du Mali: porteurs de "la Vérité" religieuse, ils entendent à ce titre exercer leur pouvoir sur la population, un peu à la manière de la Sainte Inquisition dans notre Moyen-Age ou de Savonarole dans la Florence du XVème siècle. Dès leur arrivée, ils énumèrent, à l'aide de mégaphones crachotants, la liste des interdits touchant à tous les aspects de la vie quotidienne: l'habillement des femmes, la musique et le chant, la cigarette... Ils passent aux actes, en détruisant des statuettes jugées sacrilèges et brûlant des manuscrits anciens, en lapidant un couple adultère, ou encore imposant le mariage d'une jeune fille contre l'avis de l'intéressée et sa famille, s'autoproclamant "tuteurs" de la ville.

Par touches légères, tout au long du film, nous voyons la résistance multiforme de la population à cet asservissement.
Une marchande de poissons, à qui ils demandent de mettre des gants, leur dit leur fait. Une femme mystérieuse, allégorie de la liberté, les traite sobrement de "connards" et continue de vivre sa vie sans représailles, car, adepte de la religion animiste, elle les inquiète un peu. Un imam sage et instruit, défendant calmement avec des arguments un Islam respectueux de l'humanité, laisse sans voix le chef des nouveaux maîtres.

Le football est lui aussi la victime de leur vindicte.

Un ballon qui descend des escaliers de la ville jusqu'au pied d'un groupe de miliciens est confisqué; ils interrogent des jeunes pour savoir qui est le propriétaire de l'objet délictueux : "Ce n'est pas à moi" répond chacun de ceux-ci.
Dans une séquence suivante, on assiste à un match de football, superbement filmé, joué par ces jeunes de façon très particulière; selon la règle convenue nous ne dévoilerons pas laquelle. Mais lorsque le groupe des miliciens de la vertu arrive, sur leurs mobylettes, armés de kalachnikovs, les joueurs sont exempts de tout reproche devant leurs censeurs. Un séquence d'un comique de farce qui fait penser à Charlot bernant les "cops" à sa poursuite.

Et puis les occupants ont les mêmes appétits, les mêmes plaisirs que les autres hommes: l'un convoite la jolie femme d'un habitant, le même fume en cachette. Même ceux qui doivent faire appliquer l'interdiction du football, on les découvre en pleine discussion sur les talents comparés de Zidane et de Messi !

Un film empreint d'une grande poésie, et lucide sur ce nouveau totalitarisme.
Où le football est placé parmi les autres forces de la vie, est montré comme capable d'exprimer la liberté et l'aspiration à l'émancipation.
Un film à saluer sur notre site aussi pour cette raison...

Loïc Bervas (février 2015)
Film Timbuktu d'A. Sissako  : Djihad et football

En résonance avec l'actualité, le film Timbuktu du réalisateur Abderrahmane Sissako, d'origine mauritanienne et ayant longtemps vécu au Mali, nous en apprend plus sur la réalité djihadiste que nombre de discours émis ces deux dernières semaines après les attentats meurtriers de Paris. Par les moyens de l'art, sans jamais donner de leçon : au spectateur de ressentir la situation et d'exercer sa réflexion.

Un groupe de salafistes armés prend possession de Tombouctou, petite ville au nord du Mali: porteurs de "la Vérité" religieuse, ils entendent à ce titre exercer leur pouvoir sur la population, un peu à la manière de la Sainte Inquisition dans notre Moyen-Age ou de Savonarole dans la Florence du XVème siècle. Dès leur arrivée, ils énumèrent, à l'aide de mégaphones crachotants, la liste des interdits touchant à tous les aspects de la vie quotidienne: l'habillement des femmes, la musique et le chant, la cigarette... Ils passent aux actes, en détruisant des statuettes jugées sacrilèges et brûlant des manuscrits anciens, en lapidant un couple adultère, ou encore imposant le mariage d'une jeune fille contre l'avis de l'intéressée et sa famille, s'autoproclamant "tuteurs" de la ville.

Par touches légères, tout au long du film, nous voyons la résistance multiforme de la population à cet asservissement.
Une marchande de poissons, à qui ils demandent de mettre des gants, leur dit leur fait. Une femme mystérieuse, allégorie de la liberté, les traite sobrement de "connards" et continue de vivre sa vie sans représailles, car, adepte de la religion animiste, elle les inquiète un peu. Un imam sage et instruit, défendant calmement avec des arguments un Islam respectueux de l'humanité, laisse sans voix le chef des nouveaux maîtres.

Le football est lui aussi la victime de leur vindicte.

Un ballon qui descend des escaliers de la ville jusqu'au pied d'un groupe de miliciens est confisqué; ils interrogent des jeunes pour savoir qui est le propriétaire de l'objet délictueux : "Ce n'est pas à moi" répond chacun de ceux-ci.
Dans une séquence suivante, on assiste à un match de football, superbement filmé, joué par ces jeunes de façon très particulière; selon la règle convenue nous ne dévoilerons pas laquelle. Mais lorsque le groupe des miliciens de la vertu arrive, sur leurs mobylettes, armés de kalachnikovs, les joueurs sont exempts de tout reproche devant leurs censeurs. Un séquence d'un comique de farce qui fait penser à Charlot bernant les "cops" à sa poursuite.

Et puis les occupants ont les mêmes appétits, les mêmes plaisirs que les autres hommes: l'un convoite la jolie femme d'un habitant, le même fume en cachette. Même ceux qui doivent faire appliquer l'interdiction du football, on les découvre en pleine discussion sur les talents comparés de Zidane et de Messi !

Un film empreint d'une grande poésie, et lucide sur ce nouveau totalitarisme.
Où le football est placé parmi les autres forces de la vie, est montré comme capable d'exprimer la liberté et l'aspiration à l'émancipation.
Un film à saluer sur notre site aussi pour cette raison...

Loïc Bervas (février 2015)