Christian Karembeu, kanak,d’Anne Pitoiset et Claudine Wéry (ed. Don Quichotte)

Christian Karembeu, kanak,
d’Anne Pitoiset et Claudine Wéry (ed. Don Quichotte) 2011


Sur la couverture, le titre Christian Karembeu, kanak, sous son visage impressionnant en gros-plan et noir et blanc, donne la clé de l’ouvrage  : à travers le parcours sportif réussi du Néo-calédonien, c’est de l’histoire, des valeurs et des aspirations du peuple kanak, auquel ce joueur est indissolublement lié, que nous entretiennent les journalistes Anne Pitoiset et Claudine Wéry. Cette biographie tranche ainsi avec la production courante du genre quand il concerne des footballeurs.


Une carrière respectable


Les deux auteurs nous font suivre les étapes classiques de la carrière d’un footballeur de haut niveau.
Le football fait partie des jeux de l’enfance du petit Christian Lali Kake Karembeu, né en 1970, dans la nature luxuriante de l’île de Lifou, l’une des Iles Loyauté à l’est de la Grande Terre néo-calédonienne. Avec des balles particulières: «  Avec des feuilles surnommées «  petites tortues  », les jeunes fabriquaient une boule bien dense, qu’ils enroulaient dans des toiles d’araignées collantes».
Le goût du football s’affirme, à côté des autres sports scolaires où il excelle en raison de dons physiques exceptionnels, au collège d’Houaïlou, sur la côte est de la Grande-Terre, puis au lycée de Nouméa. Il prend alors une licence au club FC Gaïtcha de la capitale, où l’idée de réussir dans ce sport commence à germer chez lui.

Sollicité pour un stage d’essai au FC Nantes fin 1988, il y devient professionnel et connaît les belles années de l’équipe issue de la pépinière de la Jonelière (P. Loko, N. Ouedec, R. Pedros…) entraînée par Jean-Claude Suaudeau, jusqu’au titre de champion de France en 1994-95, au terme d’une saison où l’équipe n’a concédé qu’une seule défaite et a enchanté les publics par son jeu chatoyant.

Nous parcourons ensuite une carrière européenne qui, commencée à la Sampdoria de Gênes (1995-1997), l’amène au grand Real de Madrid (1997-2000). Après un passage peu gratifiant à Middlesborough, il connaît une deuxième jeunesse à l’Olympiakos du Pirée (2001-2004), pour terminer sa carrière en 2005 sur deux tentatives vaines de sauver des clubs en perdition, le Servette de Genève et le FC Bastia. Se taillant un beau palmarès: 2 Ligues des champions avec le Real, 2 titres de champion de Grèce avec l’Olympiakos. Parallèlement, il connaît 57 sélections en équipe de France de 1992 à 2002, avec la «  génération Zidane», glanant une Coupe du monde (1998), un championnat d’Europe des nations (2000) et une Coupe des confédérations (2001).

Toutes les phases de cette carrière prestigieuse sont racontées de façon vivante, plaisante à lire. Avec des séquences amusantes, en disant long sur les rapports familiaux  : par exemple, pour son stage à l’essai au FC Nantes, la conspiration générale pour lever le refus de sa mère Haudrenie de laisser son petit partir si loin pour affronter les dangers de la jungle des mœurs occidentales  ; et puis pour elle «  le football, ce n’est pas un métier  !  ». Ou encore «  l’engueulade  » sévère que lui passe son père quant il revient au pays, après une expulsion du fils pour bousculade de l’arbitre en finale de Coupe de France 1993 contre le PSG (qui lui vaudra 3 mois de suspension, et lui apprendra à se maîtriser sur un terrain).

L’aspect footballistique pur n’est pas abandonné, même s’il n’est pas au centre du regard que portent les auteurs sur le personnage. Retenons seulement les réflexions de Jean-Claude Suaudeau découvrant, lors du stage d’essai au FC Nantes, «  un diamant brut» de puissance physique, qu’il va devoir ciseler sur les plans tactique et technique  ; ou l’énergie qu’il insuffla à l’équipe de France avec son but marqué après une course «  inarrêtable», contre la Roumanie à Bucarest en octobre 1995, lors d’un match décisif pour la qualification au championnat d’Europe  1996, où la France échouera en ½ finale.
Nous n’avons pas en effet la relation d’actions significatives exprimant les qualités du footballeur sur le terrain: un joueur voué souvent aux tâches défensives de récupération, travaillant inlassablement dans un esprit collectif pour fournir en bons ballons les techniciens meneurs de jeu; un rôle pas toujours spectaculaire mais précieux, indispensable dans une équipe.

Les auteurs sont plutôt attentifs à évoquer les personnes du milieu du football qui ont compté pour lui  : ceux qui l’ont aidé sur son île (son entraîneur Gerald Djiram, l’ex-joueur d’Ajaccio et de Bastia Kanyan…), guidé à ses débuts («  Coco  » Suaudeau, son aîné au FC Nantes Antoine Kombouaré…), les amitiés forgées dans les diverses équipes qu’il a connues (Lilian Thuram, Bernard Lama…).
Et surtout à montrer la trajectoire humaine, le caractère bien trempé d’un homme qui, transplanté à 17 ans dans un univers complètement différent de celui de l’île natale, y réussira et «  se sentira partout citoyen  », en gardant les valeurs inculquées par la culture kanak, en continuant à les revendiquer au nom de son peuple…


Un représentant du peuple kanak

Tout au long du livre en effet, le parcours personnel de C. Karembeu va être l’occasion de nous faire connaître l’histoire de la Nouvelle-Calédonie (1), les traits essentiels de la culture kanak, fondée sur «  la coutume  », sur les relations fortes, complexes au sein des familles constituant des clans à l’intérieur des tribus. Elles incitent à l’humilité, au respect des autres, au sens du collectif, au respect de la parole donnée  : en divers épisodes, on le voit se conformer à ces rapports, aux rites issus de la tradition communautaire. De même, «  star de football  », quand il revient sur son île natale, il redevient «  Lali  », respectueux des anciens, des «  grands chefs  » de tribus. Quant à la parole donnée, il démontre sa valeur au cours de l’épreuve de force, risquée pour sa carrière, qu’il mène en 1997 contre les dirigeants de la Sampdoria de Gênes  : s’étant engagé oralement auprès du président du Real de Madrid, il reste plusieurs mois sur le banc ou «  hors-jeu  », car il refuse l’accord de transfert passé au-dessus de lui entre le club et le FC Barcelone, qui pourtant le recrutait pour une somme double.
Il porte la conception du monde kanak, où l’individu est lié à la communauté des vivants mais aussi des ancêtres, ainsi qu’à la terre et aux animaux. 

D’autre part, passée la présentation de la jeunesse de ses parents et de la vie de la famille lors de ses dix premières années à Wedremel sur l’île de Lifou, sous les traits d’une idylle rousseauiste peinte avec un réel talent romanesque, les auteurs vont s’attacher à montrer comment le jeune Karembeu va prendre progressivement conscience de «  la question kanak  » en Nouvelle-Calédonie.

La famille se retrouve en 1981, à la faveur d’une mutation du père instituteur au collège d’Houaïlou, ville de la côte est de la Grande Terre, grand centre d’extraction du nickel et l’un des bastions de la cause kanak, que défendent des membres du clan familial. Or les années 80 sont marquées par une recrudescence du conflit entre les loyalistes «  caldoches  », possesseurs de l’essentiel de l’économie et détenteurs des pouvoirs politiques, et les indépendantistes kanak  : soulèvements et actions violentes des «  durs  », spirale d’affrontements meurtriers entre les deux camps, répression (tel le massacre de la grotte d’Ouvéa en mai 1988). Collégien puis lycéen, le jeune Christian vit ces événements (boycott de l’UNSS –sport scolaire- par les élèves, participation des jeunes à des manifestations…)  ; sa sœur aînée Ninette est blessée dans un attentat terroriste des loyalistes contre son lycée de Nouméa. Il faudra l’accord de Matignon en juin 1988 pour ramener la paix civile.
C. Karembeu a dans l’esprit aussi la présence de son arrière-grand-père  Willy parmi les «  sauvages  » et «  cannibales» mis en scène lors de l’exposition coloniale de 1931, dont «  l’aventure  » est présentée dans un chapitre. Il ressent les injustices dont son peuple est victime.

Dans sa longue préface de l’ouvrage, il revient sur un certain nombre de ces faits  : «  …j’avançais dans l’adolescence et je découvrais les injustices, petites ou grandes, inhérentes au statut des Kanak  ». Il a compris peu à peu qu’  «une lutte d’importance se dessinait entre le colonisé et son colonisateur». Il trouve étrange qu’on lui demande de chanter la Marseillaise avant les matches en sélection, alors que la Nouvelle-Calédonie est totalement ignorée de bon nombre de ses interlocuteurs. Il évoque aussi le  mythe fugace de la France «  black-blanc-beur  » après la victoire de 1998  : «  Si le football est un vecteur d’insertion, il ne résout pas tout  ».

Il est totalement en accord avec l’orientation donnée au livre par les deux journalistes qui l’ont écrit  : faire connaître la Nouvelle-Calédonie et sa culture, comme on peut le voir aussi dans la véritable étude ethnologique placée en annexe.
Et faire entendre aussi les aspirations du peuple kanak  : «  Pourtant les Kanak peinent encore à devenir acteurs de l’économie du pays  : dans un archipel où les monopoles mettent en danger l’économie locale, l’asservissement colonial a de beaux restes  », déclare-t-il dans sa préface (2).

En définitive, un livre intéressant à lire parce qu’il présente un personnage attachant qui est footballeur, et qui aujourd’hui utilise sa célébrité, renforcée par celle de son couple (3), afin de faire connaître les siens.
Un livre qui pourra paraître frustrant pour ceux qui auraient voulu davantage voir C. Karembeu sur le terrain, mais qui nous rappelle qu’il y a le monde, les affaires des hommes à côté du football, contrastant avec des biographies nombrilistes de «  vedettes du football».

Loïc Bervas

(1) Par des retours en arrière historiques, les auteurs relient habilement les événements contemporains sur l’île au passé, depuis la colonisation jusqu’à la situation actuelle. 

(2) Le livre fait état de l’accord de Nouméa, signé en mai 1998 entre les diverses parties, dont le préambule intégral est publié en annexe, qui prévoit un référendum entre 2014 et 2018 pour trancher la question du statut de la Nouvelle-Calédonie: maintien dans la France avec une très large autonomie? indépendance  ? accord d’association entre un Etat calédonien et la France?
Malgré la volonté des uns et des autres de parvenir à un avenir pacifique, rien n’est encore tranché, les désaccords et les incertitudes demeurent. Un fait révélateur  : la Nouvelle Calédonie accueillera en septembre 2011 les 14e Jeux du Pacifique. Il n’a pas été possible de s’accorder sur un seul drapeau pour les cérémonies. Les deux drapeaux français et kanak (avec la flèche faîtière d’une case) devraient flotter…

(3)Le livre parle d’Adriana Sklenarikova et du couple Karembeu. Notre site n’a pas pour vocation de s’intéresser à la vie privée des personnages du football. Mais reconnaissons que ce couple est une belle image de l’harmonie possible entre les couleurs et les cultures d’une part  ; et puis, au-delà du côté «  glamour  » de leur union que donnent les deux journalistes, elles montrent certaines analogies entre leurs histoires respectives qui les rendent estimables.
Bon, on peut aimer le football et être attendri, nous assumons!

Loïc Bervas (mars 2011)