Les grands goals de l’histoire – Philippe Robrieux (ed. Ramsay – 1979)

Les grands goals de l’histoire – Philippe Robrieux (ed. Ramsay – 1979)

Philippe Robrieux s’en est allé le 1er octobre, à 74 ans.
Il était connu pour son engagement politique au PCF dans sa jeunesse, sa rupture avec ce parti et l’URSS en 1968, qu’il présenta notamment dans une biographie de Maurice Thorez (1975) puis une volumineuse Histoire intérieure du PCF dans les années 80. Sans renier son attachement à cette cause.
A côté de ses convictions, il avait la passion du football, du beau football(1), ce qui l’amena en 1979, en un temps où les intellectuels ne goûtaient guère à ce sport, à écrire Les grands goals de l’histoire du football.


Il n’a pas fait un livre d’historien universitaire  : c’est son Panthéon personnel (2) qu’il présente, en «  aficionado  » amoureux du football, à travers ces 12 portraits d’artistes dessinés avec admiration, chaleur et empathie. Ce choix est sûr  !
Il utilise une composition simple  : une courte notice sur la carrière de chacun, un récit retraçant les grandes phases et les moments forts de celle-ci, une description de leur style propre, avec d’abondantes illustrations.
Du classique à première vue…

ILS SONT VIVANTS

Mais l’enchantement de ce livre tient à la faculté qu’a l’auteur de ressusciter le football du passé.

Avec lui, nous entendons à nouveau les clameurs de stades aujourd’hui disparus (Colombes, l’ancien Parc des Princes). Nous suivons les actions sur le terrain de clubs ayant tenu le haut du pavé  : Red Star, CO Roubaix-Tourcoing, Racing Club de Paris…

Nous revivons des matches où ces grands gardiens ont accompli leurs exploits  : un France-Italie de 1937 où, en état de grâce, Laurent Di Lorto fait «  le match de sa vie  », arrachant (presque) à lui seul le mach nul à l’Italie, alors détentrice du titre mondial. Ou encore un match du tournoi de Paris 1960 entre le FC Santos et le Racing, au cours duquel le Brésilien Gilmar dans ses buts est au diapason des «  tabellas  » de Pelé-Coutinho ou des tirs de Pépé.

Nous sommes spectateurs admiratifs, «  en direct  » et au ralenti, de séquences de jeu où ces personnages réussissent des interventions extraordinaires  : le face-à-face victorieux du soviétique Lev Yachine avec le Chilien Landa lors d’un ¼ de finale du Mondial chilien en 1962. L’arrêt «  impossible  » de l’Anglais Gordon Banks sur une tête de Pelé lors de l’Angleterre-Brésil du groupe III en Coupe du Monde 70 au Mexique.


QU’ONT-ILS DE PLUS QUE LES AUTRES  ?

Mais ce livre n’est pas (seulement) nostalgique  : c’est pour offrir aux hommes du présent ce qui se fait de mieux à ce poste que l’auteur analyse de façon très précise et technique. Il sait nous parler des caractéristiques techniques majeures du style de chacun, le point fort qui le rend exceptionnel, les facettes de ce poste qu’ils ont mises en valeur, pour lesquelles ils ont parfois été des «  inventeurs  ».
Ainsi, présentant l’Espagnol Ricardo Zamora, «  El Divino  », premier gardien de l’histoire à être célébré à l’échelle internationale dans l’entre-deux-guerres, adulé dans son pays comme les toreros  : «  Et comment s’en étonner quand tout en lui, style spectaculaire, inspiration, aisance et élégance raffinée devant le danger, évoque l’art incomparable des maîtres du ruedo!  »  ; le Français Julien Da Rui qui, dans sa longue carrière (1935-1956), a apporté le sens de la relance offensive grâce à sa technique sûre au pied. Ou encore le style aérien incomparable de Rudi Hiden, du «  Wunderteam  » autrichien jusqu’à son transfert au RC Paris (le professionnalisme naissant en France) et ses sélections en équipe de France après sa naturalisation, dans l’avant-guerre.
Dans ce Panthéon, P. Robrieux place un «  dieu  » au-dessus des autres. Il est obligé de dire que Lev Yachine est peut-être le meilleur gardien de l’histoire, mais on sent qu’il a un faible pour René Vignal, gardien dans l’après-guerre au Racing et en sélection, le maître du plongeon (à risques souvent  !), surnommé «  Le Français volant  » par les Anglais, après un match contre l’Ecosse qui les a éblouis en 1949  : «  …envolé dans un plongeon qui semblait n’en plus finir, il nous communiquait alors un sentiment de plaisir: il arrêtait le ballon et le temps. C’était magnifique  ».

DESTINE AUX GOALS D’AUJOURD’HUI

La valeur de cet ouvrage tient aussi à ses photographies  : parce que beaucoup sont belles en elles-mêmes, montrant de superbes postures de ces gardiens, touchant à l’art chorégraphique.
Mais elles présentent un autre intérêt  : elles sont «  pédagogiques  », au sens où elles illustrent les qualités mises en œuvre par un grand gardien. Cette dimension est renforcée par les légendes, anormalement longues, qui dissèquent les diverses composantes du geste, avec parfois des critiques quand le geste n’est pas parfait  ! L’auteur est particulièrement scrupuleux sur le placement des mains  ! Certains esprits se gausseront de ce côté «  maître d’école  » chez P. Robrieux  ; nous pensons au contraire que ce livre est à mettre dans les mains de tous les apprentis-gardiens dans les écoles de football.
Il n’hésite pas d’ailleurs au passage à tancer des gardiens actuels (contemporains à la publication) pour leur reprocher leur oubli de la «  leçon  » de ces maîtres.
Il insiste aussi à de nombreuses reprises sur le travail acharné de tous ces hommes pour perfectionner leurs dons naturels  : ainsi il loue le grand professionnalisme de Dino Zoff qui, gardien de la «squadra azzura  » dans les années 70, sobre et doté du sens du placement, n’avait de cesse de rectifier une faiblesse (son côté gauche à ras de terre). Tout en s’amusant du caractère fantasque de Sepp Maier, au palmarès impressionnant glané au Bayern de Munich et en équipe d’Allemagne (années 60-70).
Une dernière partie du livre, consacrée au «  jeu du gardien de but  » vient confirmer cette visée didactique  : elle aborde les trois aspects techniques du poste (prise de balle, dégagement et placement), avec toujours illustrations et schémas à l’appui ainsi que des conseils d’entraînement.

Tout l’ouvrage respire l’amour et la connaissance du football, «  cet art populaire authentique du XXe siècle  »  ; la fraternité avec les joueurs occupant ce poste si particulier, pour lequel tout est spectaculaire selon l’étymologie du terme  : le sauvetage extraordinaire, mais aussi l’erreur sont «  vus  » par les spectateurs (et aujourd’hui les téléspectateurs), ce qui rend si difficile ce rôle.
Un livre actuel, parce que sa plongée dans le passé nous montre les beautés à préserver aujourd’hui, contre nos inquiétudes, anticipées par P. Robrieux  : «  Fasse le ciel qu’à l’instar de nos vieilles sociétés, le football n’entre pas en décadence  ».

(1) Du beau football: admiratif des belles actions offensives, collectives ou individuelles, il fustige au passage les dirigeants de la 3F d’avoir fait le choix de G. Boulogne comme «  maître  » du jeu français (sélectionneur, DTN), adepte du football ultra-défensif, du physique avant tout. On retrouve dans sa colère les accents du   Miroir du football. Il était dans l’ordre des choses que P. Robrieux et F. Thébaud avec l’équipe du Miroir aient eu de longues discussions passionnées après les matches du dimanche matin  !
(2) Depuis Pierre Chayriguès, aux temps héroïques du football  (il fut international de 1911 à 1925, et pionnier de nombreuses «  figures  » du poste) jusqu’à Ivan Curkovic, qui a grandement contribué aux succès des «  Verts  » de Saint-Etienne dans les années 70.

Loïc Bervas (novembre 2010)