Football et Politique A propos du livre  :Libre arbitre – Dominique Paganelli

FOOTBALL ET POLITIQUE
(A propos du livre  :Libre arbitre – Dominique Paganelli – Actes Sud – 2006  (Babel)



Pour envisager les rapports entre sport et politique, deux positions s’affrontent bien souvent.

La conception dominante, conformiste _ celle des télévisions et de la grande presse en général _, selon laquelle «  le sport est apolitique  ». S’y intéresser alors, c’est suivre les aspects purement sportifs, les résultats des compétitions, en les considérant comme «  une fête  », pour préserver les audiences télés et les tirages des journaux et magazines. Sans réflexion approfondie sur les conditions politiques d’une épreuve sportive.
FOOTBALL ET POLITIQUE

(A propos du livre  :Libre arbitre – Dominique Paganelli – Actes Sud – 2006  (Babel)



Pour envisager les rapports entre sport et politique, deux positions s’affrontent bien souvent.

La conception dominante, conformiste _ celle des télévisions et de la grande presse en général _, selon laquelle «  le sport est apolitique  ». S’y intéresser alors, c’est suivre les aspects purement sportifs, les résultats des compétitions, en les considérant comme «  une fête  », pour préserver les audiences télés et les tirages des journaux et magazines. Sans réflexion approfondie sur les conditions politiques d’une épreuve sportive.

A l’opposé, une conception critique, se prévalant de principes progressistes, émancipateurs, condamne globalement le sport en général, le football en particulier, comme anesthésiant toute réflexion sur la société qui l’entoure et présente ses acteurs, pratiquants et spectateurs, comme des crétins rédhibitoires, manipulables à volonté. Et d’asséner les éternelles formules  : «  le nouvel opium du peuple  » ou «  du pain et des jeux  ». Les exemples abondent certes de manifestations sportives utilisées par les pouvoirs politiques pour jouer sur la fibre nationaliste, à l’intérieur en rassemblant «  le peuple  » toutes classes confondues dans une émotion commune  ; c’est particulièrement vrai pour les dictatures, mais les pays «  démocratiques  » n’en sont pas exempts  : ainsi, lors de la Coupe du monde 1998, le mythe de «  la France black-blanc-beur  », démenti par les émeutes des banlieues en 2005; à l’extérieur en prouvant la «  grandeur  » et la «  légitimité  mondiale» d’un régime organisant une compétition internationale, par exemple la Chine et les JO de 2008.

MAIS LE SPORT, LE FOOTBALL, N’EST-CE QUE CELA  ?

Tous ceux qui, passionnés depuis leur âge tendre par le football, considèrent qu’ils n’ont pas en avoir honte parce que cette passion ne les rend pas aveugles, moutonniers à l’égard des pouvoirs et qu’  «on ne peut jeter le bébé avec l’eau du bain  », seront intéressés par le recueil de onze nouvelles écrites par D. Paganelli, journaliste multimédia et ancien rédacteur en chef des «  Cahiers du football  ». En effet, l’auteur refuse cette opposition manichéenne et nous le montre par ces courtes histoires: elles nous incitent à nous souvenir de faits réels, présentant des personnages tantôt réels tantôt fictifs, pour maintenir notre «  libre  arbitre  », selon le titre de l’ouvrage, c’est-à-dire une conscience lucide sur le football dans le monde tel qu’il va, dans le même mouvement qui nous fait aimer ce sport.

DES STADES TRANSFORMES EN LIEUX DE MORT

Trois nouvelles («  Terrain vague  », «  Tous les 11 septembre  » et «  Le Saint-Esprit  ») nous rappellent que les stades peuvent devenir des endroits de mort et de sang  : le terrain du stade de Casablanca fut creusé en fosse commune pour cacher les victimes de la répression qui suivit les émeutes contre la vie chère de juin 1981  ; ou encore au Chili, le stade «  National  » de Santiago, qui fut transformé en lieu de tortures et d’exécutions après le coup d’Etat du général Pinochet le 11 septembre 1973. Plus banalement, le dernier récit évoque la chute mortelle d’une tribune au stade Furiani le 5 mai 1992, avant une ½ finale de Coupe de France OM-Bastia.

FOOTBALL ET TOTALITARISMES

Trois nouvelles également nous font sentir concrètement des facettes du football dans une société totalitaire. On apprend le sort dramatique du gardien du Steua Bucarest, Helmut Ducadam, qui réalisa l’exploit d’arrêter 4 tirs au but du FC Barcelone, donnant ainsi la victoire à l’équipe roumaine en finale de la Coupe d’Europe 1986  : il avait eu le tort ensuite de refuser d’offrir la «  Mercedes  » dernier modèle reçue en prix de son exploit (par les dirigeants du Real Madrid, heureux de la défaite du rival catalan  !) à Nicu Ceaucescu, fils du dictateur stalinien («  Les jeux de mains du jeune Dracula  »). De même («  Hors-jeu  »), la perte d’emploi et de logement pour un simple juge de touche, qui n’avait pas «  joué le jeu  » et avait tout à fait régulièrement signalé un hors-jeu à la 90ème minute contre le Steua Bucarest, club chéri par l’armée, l’ayant ainsi privé de la victoire (mais le Bureau Politique du PC roumain rétablit l’ordre  !). Et enfin («  La course du soleil  »), les conséquences tragiques pour Lutz Eigendorf, joueur de l’équipe du Dynamo Berlin, profitant d’un match amical de son équipe contre Kaiserslautern de l’autre côté du Mur en 1979, pour passer à l’Ouest  : en butte à l’acharnement vengeur et «  raffiné  » de la Stasi, police politique est-allemande, jusqu’à son étrange accident de voiture mortel quelques années plus tard.

La nouvelle la plus accomplie, à notre avis, pour montrer la complexité des rapports entre sport et politique est pourtant «  Escuela mecanica de la Armada  »  : sous la dictature de la junte militaire de Videla, deux joueurs professionnels argentins aux portes de la sélection mais aux idées progressistes, se retrouvent soumis aux terribles traitements du centre de tortures dans cette école militaire  à Buenos-Aires; celle-ci est située tout près du stade de River Plate où ont lieu des matches de l’équipe nationale pour la Coupe du monde 1978, en particulier la finale qui l’oppose aux Pays-Bas. C’est l’occasion d’un dialogue rétrospectif, vingt ans plus tard entre les deux amis, qui fait ressentir au lecteur toutes les réactions à l’intérieur de la prison comme dans les rues après la victoire des «  bleu ciel et blancs  » par 3-1, et expriment les attitudes possibles dans ce débat «  sport et politique  ».

FOOTBALL ET RESISTANCE

Des matches de football deviennent actes de résistance  : Schalke 04- Rapid de Vienne en 1941 à Berlin, où les représentants de l’Autriche annexée depuis 1938 refirent un retard de 3 buts à partir de la 75ème minute contre l’équipe super-favorite, pour l’emporter en finale de Coupe d’Allemagne, au grand dam des dignitaires nazis. Ce qui entraîne encore aujourd’hui une expression amusante des spectateurs du stade du Prater à Vienne à cette minute précise lors des rencontres internationales («  La 75ème minute  »)  ! Ou encore («  Vestiaire  »), dans l’Ukraine occupée de 1942, cette équipe ukrainienne, qui fut envoyée dans des camps d’où peu revinrent, pour avoir osé gagner un match contre une équipe de l’armée allemande, malgré les «  recommandations  » préalables des organisateurs SS de cette rencontre «  amicale  ».


Sur un ton moins dramatique, «  DoCKers  » s’intéresse à Robbie Fowler, auteur de buts merveilleux dans les années 90 au Liverpool FC. Lui qui était un «  bad boy  », capable de coups pendables sur un terrain, était le même qui eut ce geste courageux lors d’un match de Coupe d’Europe en 1997  : après avoir marqué un but contre les Norvégiens de Bragen, il souleva son maillot pour montrer l’inscription sur son T-shirt  : «  Soutien aux doCKers de Liverpool licenciés  »… ce qui lui valut une forte amende de l’UEFA pour «  avoir manifesté ses opinions politiques sur un stade  ». Originaire de Toxteh, quartier populaire jouxtant le stade d’Anfield Road, il avait voulu montrer sa solidarité avec les dockers dans leur longue grève contre le patronat de la Mersey et M. Thatcher.
L’auteur apporte aussi une note tendre et humoristique dans «  Jopo, le 192ème Etat  », en posant un regard chaleureux sur le petit monde des supporteurs de Manchester City  : lors d’une assemblée générale très solennelle dans un pub, ils trouvent une solution originale et drôle (hélas vouée à l’échec  !) pour sauver de la destruction leur stade historique de Maine Road contre les appétits financiers de promoteurs immobiliers.
Ceux qui aiment les films de Ken Loach, et le dernier présenté à l’écran «  Looking for Eric  », retrouveront dans ces deux nouvelles sa manière d’évoquer le lien fort de la classe ouvrière anglaise avec le football.

EN HOMMAGE A DES FOOTBALLEURS LIBRES

Tous ces récits, très variés dans leurs modes narratifs, fondés sur une connaissance sûre et documentée, nous font revivre des moments du passé proche, sans didactisme, à travers des êtres de chair et de sang, qui se les remémorent aujourd’hui (le livre est paru en 2006). Ils rendent en passant hommage à des footballeurs qui ont su exercer leur «  libre arbitre  »  : par exemple à Mathias Sindelar, perle de la «  Wunderteam  » autrichienne des années 30 qui, juif, refusa la sélection dans l’équipe au maillot frappé de la croix gammée après l’  «  Anschluss  » et finit par se suicider en 1939. A Jorge Carrascosa, capitaine de l’équipe d’Argentine, qui fit de même pour ne pas cautionner le régime de Videla, s’interdisant ainsi de jouer la Coupe de monde 1978. A Carlos Caszely, meneur de jeu de la sélection chilienne et militant procommuniste de l’Unité populaire de S. Allende, qui refusa publiquement de serrer la main au dictateur Pinochet lors de la cérémonie que celui-ci organisa pour le départ de l’équipe en Allemagne pour la Coupe du monde 1974.


En conclusion, laissons la parole aux deux protagonistes de la nouvelle sur l’Argentine. L’un deux dit  : Je constate simplement que les sempiternels lieux communs selon lesquels foot et politique ne sauraient se mélanger se heurtent à l’épreuve des faits  ». Et l’autre d’ajouter  : «  On dégueule souvent le foot et son environnement, mais on l’aime tellement qu’on y revient toujours  ».

L. Bervas (mai 2010)