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Coupe du monde 1904-1998 *
Un Miroir du siècle Texte inédit de François Thébaud
QUATRIEME PARTIE USA La Finale sans but

Chapitre XVI
Los Angeles 1994

LA FINALE SANS BUT
3,6 millions de spectateurs, soit une moyenne de 67  000 par match, 17 des 52 matches dépassant 70  000 spectateurs et quatre les 90  000. La première Coupe du monde disputée aux Etats-Unis a largement battu les records d’affluence de la compétition. Et sur ce chapitre, on relève des faits plus étonnants encore  : des rencontres qui n’auraient attiré que des assistances très restreintes en Europe ou en Amérique du Sud comme Arabie Saoudite-Maroc, Corée du Sud-Bolivie, Eire-Norvège ont réuni respectivement 72.004, 54.450, 76.322 spectateurs. Et l’on ajoute que la tenue de ces publics a été exemplaire, les supporters des équipes européennes, dont la mauvaise réputation est bien connue, fraternisant sans intervention de la police. Quant aux 60% de spectateurs américains, ils ont manifesté pour un sport inconnu de la majorité d’entre eux une curiosité et un intérêt que les medias audiovisuels ont confirmés par leur taux d’audience, ainsi que la presse écrite par ses commentaires de la «  World Cup  ».
Des précautions efficaces

Pour conquérir ce public modèle et justifier l’organisation d’un sport professionnel qui n’avait pas survécu au départ des Pelé, Beckenbauer, Cruyff, Eusebio et autres «  grands noms  », la FIFA avait non seulement donné à ses arbitres l’ordre de réprimer sévèrement les agressions contre les attaquants et en particulier les tacles par derrière, mais aussi l’utilisation des mains pour contrôler le ballon, accrocher les bras ou les maillots et ceinturer l’adversaire. De plus, si l’on en croit une information de Benoît Heimermann publiée dans «  L’Equipe magazine  », «  avant même que ne soit engagé le premier match de cette Coupe, la FIFA a sans doute été inspirée de faire signer à l’ensemble des compétiteurs un document où il était question (entres autres) de  «  respect des lois du jeu  » et de «  l’honneur de promouvoir le football en terre étrangère. Ajoutée à la pluie de cartons distribués dès les premières rencontres et aux menaces de suspension chaque jour plus évidentes, cette initiative a sans doute permis de calmer plus d’un esprit belliqueux  ». 

Ces précautions ont probablement contribué à augmenter la durée du jeu effectif pendant les matches, si on la compare avec la moyenne des précédentes éditions de la Coupe. Les parties moins hachées, la protection physique des attaquants mieux assurée étaient des conditions favorables au jeu offensif. 141 buts ont été marqués dans les 52 matches, soit une moyenne de 2,71 par match, supérieure à la moyenne enregistrée en Italie (2,21), qui était la plus faible de l’histoire de la Coupe du monde, mais inférieure à la Coupe du monde 1982 (2,80).

Le 4-4-2 pour tous

Les chiffres ne justifient pas l’enthousiasme de Gérard Houiller, l’ancien sélectionneur français, qui a qualifié la compétition de 1994 de «  Coupe du monde des attaquants  ». Si les observateurs des précédentes éditions de l’épreuve s’accordent à reconnaître que les matches de la «  World Cup  » n’ont pas les aspects antipathiques qui caractérisaient trop fréquemment les combats impitoyables constatés depuis 1962, ils n’ont eu que quelques rares occasions de s’enthousiasmer, contrairement à Gérard Houiller.

On attendait dans le domaine de la tactique des innovations. Toutes les équipes sont restées fidèles au 4-4-2, à commencer celle qui a remporté la composition, avec en avants le duo Romario-Bebeto dont Pelé, observateur attentif de ses successeurs définissait l’action en ces termes  ; «  Ils courent peu, ne récupèrent rien, attendent les ballons, mais se montrent capables sur 20 mètres de faire la décision  ». Et comme Pareira, ex-préparateur physique de 1970 demandait aux joueurs du milieu un travail de «  récupération  » pour lequel il préférait Dunga à Raï, la construction offensive du Brésil ne se distinguait en aucune façon de celle de ses principaux adversaires. Faute d’un joueur du milieu capable de mener le jeu offensif, le rôle de meneur de jeu aurait été confié selon Pelé à l’arrière latéral Jorginho, que sa carrière sans éclat au Bayern de Munich ne semblait pas préparer à cette destinée.

La meilleure défense  !

On peut comprendre dans ces conditions que Romario et Bebeto n’aient pu réussir en finale à percer en 120 minutes une défense italienne dans laquelle Baresi était en pleine possession de ses moyens.

Et que la quatrième victoire du Brésil, si elle constitue un record à ce jour, possède la regrettable originalité d’avoir été acquise dans un jeu qui n’est pas le football. En 1990 un penalty, contesté mais obtenu dans le jeu, avait permis à l’Allemagne de faire la décision. Avec un total de onze buts pour les sept matches joués, le «  tetracampeao  » est dépassé par la Suède (15 buts) et doit se contenter d’avoir manifesté la meilleure efficacité défensive (3 buts encaissés), ce qui peut paraître paradoxal quand on connaît la tradition du football brésilien.

Adversaire heureux du Brésil en 1982, l’Italie a perdu la finale en raison de deux tirs ratés par Baresi et Roberto Baggio, ses deux joueurs les plus talentueux (Baggio étant aussi son meilleur buteur).

Le départ de la compétition avait été pénible pour la «  squadra  », frôlant l’élimination au premier tour après sa défaite devant l’Eire et son difficile match nul contre le Mexique. Sa qualification pour les quarts de finale avait été pénible dans la prolongation, mais son adversaire était redoutable  : le Nigéria qu’on retrouvera plus tard parmi les meilleures équipes de la fin du siècle. Les victoires de l’Italie sur l’Espagne en quart de finale, puis sur la Bulgarie en en demi-finale, montrèrent qu’elle avait gagné le droit d’espérer comme le Brésil un quatrième titre mondial.

L’Allemagne pouvait avoir la même ambition malgré son mauvais match d’ouverture contre la Bolivie et surtout face à la Corée. Son succès sur la Belgique laissait prévoir son habituelle ascension au fil des matches. Mais la Bulgarie, qualifiée avec beaucoup de chance aux dépens d’une prometteuse équipe du Mexique, mit fin en quart de finale aux espoirs de l’Allemagne de dépasser le Brésil et l’Italie.

L’équilibre suédois

Parmi les équipes surprenantes de la compétition, il faut citer la Roumanie mise en confiance par son succès initial sur la Colombie, considérée comme l’un des favoris. La sévère mise au point de la Suisse qui lui infligea un 4-1 douloureux ne l’empêcha pas de battre l’Argentine, et la formation menée par Hagi ne fut éliminée en quart de finale par la Suède que sur les tirs au but.

En dépit de l’irrégularité de ses résultats, la Bulgarie réussit à accéder à la demi-finale, où elle résista longtemps à l’Italie. Elle avait auparavant été nettement battue par le Nigéria (3-0) avant de triompher de l’Argentine à deux reprises puis de l’Allemagne, et de subir un 0-4 dans le match pour la troisième place.

Son vainqueur fut la Suède, qui avait tenu en échec le Cameroun et le Brésil au premier tour, battu la Russie, éliminé l’Arabie Saoudite, puis la Roumanie avant de mener la vie dure à l’Italie en demi-finale. Sans pratiquer un jeu d’une qualité exceptionnelle, les Suédois manifestèrent dans l’ensemble du tournoi un équilibre physique et technique qui les rendait redoutables pour tous leurs adversaires.

Pareira le «  moderne  »

Cette équipe de Suède, sans vedette _ malgré la bonne réputation de Schwarz, Brolin, Dahlin et Limpar _ a eu la meilleure attaque de cette Coupe du monde, et le Brésil la meilleure défense. Ce sont là des faits qui remettent en cause les idées bien enracinées dans les cerveaux des amoureux du football. Et on comprend l’embarras de Pelé interrogé après la victoire du Brésil sur Dunga, à propos duquel il avait formulé de sérieuses réserves avant la finale 1994 comme avant l’élimination du Brésil en huitième de finale 1990.

«  Il est celui qui récupère, relance, se bat  !  ». Et comme Mazinho et Zinho, les autres milieux de terrain brésiliens, avaient les mêmes caractéristiques que Dunga, il était évident que la présence sur le banc des remplaçants de Raï, le titulaire du numéro 10, privait l’équipe de sa seule possibilité de création offensive.

La plupart des entraîneurs venus aux USA en observateurs ont fait les mêmes remarques, mais Pareira, leur collègue comblé par la réussite, a répondu  : «  1970  ? Mais c’est de l’histoire ancienne  !  ». L’histoire dira si les amateurs de football se souviendront vingt-six ans après du nom de l’entraîneur «  moderne  » dont les joueurs ont remporté la Coupe en jouant «  à l’européenne  ». Les noms des vainqueurs de 1970 restent dans les mémoires du monde du football, leurs exploits aussi.

Les USA mieux que la Russie

Entre les Coupes du monde 1990 et 1994 se placent des événements politiques qui ont eu une incidence importante sur le comportement des équipes appartenant aux pays directement concernés.

L’équipe de l’URSS a disparu et la Russie, principale nation de l’Union des Républiques Socialistes a été représentée seule par une formation affaiblie des Ukrainiens et les incertitudes de leur condition de footballeurs. Battue par la Suède et le Brésil, elle a été éliminée au premier tour, après s’être consolée en écrasant (6-1) une équipe du Cameroun démoralisée par ses dirigeants, et en permettant à son avant-centre Salenko de marquer cinq des six buts, devenant ainsi le premier buteur de la compétition, grâce à ce seul exploit.

L’élimination de la Tchécoslovaquie dans la phase éliminatoire n’est probablement pas sans rapport avec la séparation très proche des deux nations qui composaient cet Etat. La République tchèque et la Slovaquie ne tarderont pas à constituer des équipes prêtes à participer à la Coupe du monde 1998.

La réunification ne semble pas avoir posé de graves problèmes à Vogts, le successeur de Beckenbauer à la direction technique de la «  Mannschaft  ». L’effectif de la sélection avait peut-être besoin d’un rajeunissement que la Coupe du monde 1990 semblait suggérer.

L’équipe présentée par les Etats-Unis dans sa «  World Cup  » était l’un des éléments de nature à réaliser l’objectif principal de la FIFA  : gagner le public américain afin de permettre l’organisation d’un championnat professionnel dans un pays jusqu’ici réfractaire au spectacle du «  soccer  ». Les résultats de la sélection entraînée par le Yougoslave Milutinovic ont dépassé les espérances de la FIFA.

Une victoire absolument inattendue (2-1) sur la Colombie, qui avait surclassé l’Argentine à Buenos-Aires, un nul contre la Suisse (1-1) et une défaite (0-1) contre la Roumanie ont permis à la sélection américaine de franchir le premier tour et de donner de sérieux soucis au Brésil en huitième de finale, avant de succomber sur un tir de Bebeto. Le jeu des Nord-Américains, basé sur une très bonne condition physique, une qualité technique moyenne et une tactique très conformiste, paraît avoir apporté un élément favorable supplémentaire à la bonne impression laissée au public américain par le «  soccer  » aseptisé pour les besoins de la cause.