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Coupe du monde 1904-1998 *
Un Miroir du siècle Texte inédit de François Thébaud
QUATRIEME PARTIE La dictature de la télévision

Quatrième partie

La dictature de la télévision
(à partir de 1980)


Chapitre XIII
Madrid 1982


Cent sept nations engagées… La 12ème édition de la Coupe du monde entame le 3 mars 1980 la première des trois cent six rencontres de la phase préliminaire qui désigneront les 22 équipes destinées à participer à la compétition finale en Espagne à partir du 13 juin 1982, en compagnie de l’Argentine, détentrice du titre mondial et de l’équipe du pays organisateur. Pourquoi 24 équipes au lieu de 16  ? parce que la FIFA en a décidé ainsi, à l’initiative de Joao Havelange.
L’Afrique, l’Asie et la télévision

C’est le moyen de donner à l’Afrique et à l’Asie la représentation plus consistante qu’elles revendiquent, sans mécontenter l’Europe assurée d’être représentée par 14 équipes, ce qui neutralisera toute velléité de contestation. Le public espagnol, les nombreux visiteurs qui vont envahir les stades du Mondial 82 et les téléspectateurs de la planète entière vont donc faire connaissance des footballeurs de l’Algérie, du Cameroun, de la Nouvelle-Zélande et du Koweit, ainsi que ceux du Honduras, qui accompagneront leurs voisins du Salvador familiarisés depuis 1970 avec les aléas de la Coupe du monde. Reste à savoir dans quelles conditions ces équipes aux palmarès modestes pourront défendre leurs chances dans une compétition domine par le «  réalisme  ».

Des problèmes nouveaux

L’Espagne, qui vient d’accéder à la démocratie après la mort de Franco, assume une mission bien délicate en acceptant d’inaugurer l’organisation de cette compétition à 24 équipes qui implique la collaboration de quatorze villes, la construction ou la modernisation de dix-sept stades, de très gros investissements financiers dans les transports terrestres et aériens, dans les télécommunications, l’hôtellerie, la restauration, le tourisme. La télévision, qui va offrir 52 matches en direct à plus d’un milliard de clients de tous les continents, a des exigences aussi impératives que les 6000 journalistes de la presse écrite qu’il faut équiper en télex, téléphones, laboratoires photos. Jamais l’organisation d’une Coupe du monde n’a posé autant de problèmes aussi complexes.

La situation géographique de l’Espagne, les solides structures de son football professionnel, l’expérience de son industrie touristique, la passion du peuple pour le «  balonpié  » vont permettre de vaincre ces difficultés. Les 24 équipes seront réparties en six groupes de quatre. Les deux premiers de chaque groupe seront qualifiés pour le second tour et incorporés dans quatre groupes de trois dont les vainqueurs joueront les demi-finales, le retour à la formule éliminatoire désignant les deux finalistes.



L’Algérie lésée

Les équipes africaines confirment immédiatement les promesses données par le Maroc au Mexique en 1970 et surtout celles de la Tunisie en Argentine, où elle a nettement battu le Mexique avant de tenir en échec l’Allemagne.

L’Algérie fait encore mieux  : à Gijon, elle bat la RFA (2-1), avant de vaincre le Chili à Oviedo (3-2). On découvre en ces deux occasions les attaquants de classe que sont Madjer, Belloumi, Assad, et le public aimerait les revoir au second tour. Mais Allemands et Autrichiens jouent sous les sifflets un match dont le score de 1-0 en faveur de la RFA permet à leurs deux équipes de se qualifier grâce au goal-average, aux dépens des trouble-fête venus du Maghreb. Les médias auront des mots durs pour stigmatiser cette «  complicité  », cet «  outrage  à l’esprit du sport  ». Ils n’auront pas le don d’émouvoir le tout-puissant dirigeant allemand de la FIFA, M. Neuberger, qui déclare  : «  Deus équipes ont le droit de faire courir le ballon comme elles l’entendent  !  ». Et sans doute de réaliser un score qui assure la poursuite de leurs carrières dans la compétition.

Le mérite du Cameroun sera moindre que celui de l’Algérie, bien que terminant invaincu ses trois matches (Pologne, Italie, Pérou). Pour avoir marqué seulement un but, l’équipe africaine laisse à l’Italie, qui en a marqué deux, la qualification pour le second tour. La crainte de subir un score aussi humiliant que celui du Zaïre en 1974 (9-0) contre la Yougoslavie a empêché les Camerounais d’utiliser les qualités offensives remarquables de Milla, Kunde, Abega.

Décevante Espagne

Si l’Italie et l’Allemagne, les futurs finalistes, ont failli de très peu connaître les affres de l’humiliation au premier tour, l’Espagne, à laquelle les pronostics accordaient une chance de premier ordre dans la course au titre mondial, a profondément déçu.

D’abord, en franchissant le cap du premier tour grâce à une scandaleuse décision d’arbitrage qui lui offre le bénéfice d’un pénalty pour une faute yougoslave commise un bon mètre en dehors de la surface de réparation. En succombant ensuite devant la RFA et en concédant le nul à l’Angleterre. Pour bénéficier plusieurs fois de la complaisance des arbitres, il faut tout de même donner des preuves de valeur suffisantes pour donner l’impression qu’il s’agit d’  »accidents  ». Etre battu par l’Irlande du nord et faire match nul avec le Honduras ne sont pas des preuves de valeur.


L’élimination du Brésil au même stade de la compétition laisse beaucoup plus de regrets, après un brillant premier tour, dont Zico, Cerezo, Socrates ont été les vedettes. Promus favoris à la suite de leur victoire sur l’Argentine, il leur reste à battre l’Italie pour accéder aux demi-finales. La faiblesse de deux de ses attaquants limite l’efficacité du jeu offensif préconisé par Télé Santana, le successeur de Coutinho à la direction technique de l’équipe brésilienne. Les Italiens abandonnent l’application rigoureuse de leur catenaccio pour permettre à Conti, Antognoni, Rossi et Graziani d’exprimer leurs qualités offensives et d’exploiter les faiblesses de l’adversaire pour l’emporter de justesse (3-2).

Avec neuf de ses joueurs victorieux à Buenos Aires, l’Argentine, qui avait montré ses limites au premier tour en succombant devant une bonne équipe de Belgique, emmenée par Vercauteren, Ceulemans et Coeck, a été battue par l’Italie (1-2), dominée par le Brésil (1-3) et éliminée sans élégance. Maradona, qui jouait sa première Coupe du monde, a signé son premier exploit  : un coup de pied volontaire dans l’abdomen du Brésilien Battista et une expulsion méritée.

La loterie élimine la France

Après sa défaite devant l’Angleterre pour son entrée en compétition, sa victoire sur l’insignifiant Koweït et son match nul contre la Tchécoslovaquie, on peut se poser des questions sur l’équipe de France, qui a donné auparavant de nombreuses promesses.

Une victoire sans éclat (1-0) sur l’Autriche, mais un net 4-1 contre l’Irlande du nord, étonnant vainqueur de son groupe au premier tour, montrent que la sélection dirigée par Michel Hidalgo a les moyens de concevoir les plus hautes ambitions dans une épreuve que personne ne semble dominer  : un jeu offensif bien construit et la grande qualité de ses individualités  : Platini, Bossis, Tigana, Giresse, Trésor, Rocheteau.

En demi-finale, la manière forte est la réplique adoptée contre elle par l’équipe d’Allemagne, que l’arbitre hollandais ne croit pas utile de sanctionner, notamment quand le gardien allemand Schumacher se livre à une agression inexcusable sur la personne de Battiston. Après 90 minutes d’un débat équilibré terminé sur le score de 1-1, la supériorité du jeu mieux construit, inspiré des Français se traduit par un avantage de 3-1 (buts de Trésor et Giresse) qui aurait dû être décisif mais que la farouche volonté des Breiner, Briegel, Forster, Littbarski parvient à annuler avant la fin de la prolongation.

Pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde, la loterie des tirs au but doit désigner un finaliste  : c’est l’Allemagne.

Une réaction contre le «  réalisme  »

Face au Brésil, l’Italie a donné de meilleures garanties de valeur footballistique que les compagnons de l’excellent Breitner. Tardelli, Rossi, Cabrini, Sciera, Altobelli confirment en finale le but de libération tactique du football italien. Le score de 3-1 au détriment de l’équipe chère à M. Neuberger a été réalisé sans histoire. L’Italie avait joué une finale difficile contre le Brésil, mais les efforts exigés par la prolongation contre la France ont réduit les ressources de la RFA, menée 3-0 à dix minutes de la fin.

Sur le plan sportif, cette douzième Coupe du monde a laissé une impression bien meilleure que l’édition précédente. L’évolution de l’équipe d’Italie vers un jeu plus ouvert a constitué une promesse intéressante. La remarquable qualité du jeu offensif pratiqué par les Français et les Brésiliens, ainsi que l’excellent comportement des équipes présumées «  petites  » ont apporté de bonnes réactions au courant «  réaliste  » dont on a pu apprécier les méfaits en 1978.

Du Koweït aux Malouines

Un incident est venu cependant rappeler qu’une compétition de l’envergure de la Coupe du monde ne met pas le sport à l’abri des événements du… monde. L’équipe du Koweït était probablement la plus faible du tournoi, mais l’émir qui l’accompagnait entendait montrer à l’univers que les décisions d’un arbitre de football, fût-il soviétique comme c’était le cas dans le match France-Koweït, ne pouvait résister à sa volonté. En pénétrant sur le terrain de Valladolid pour exiger l’annulation du 4ème but français, il réussit à obtenir satisfaction alors que Michel Hidalgo, qui voulait protester contre cette intrusion, fut brutalement chassé par la police. Cette annulation n’eut aucune conséquence sur le score, que Bossis se chargea immédiatement de rétablir au terme d’une percée individuelle. Mais la pusillanimité de l’arbitre et le comportement de la police démontraient que, même sur un stade et devant 30  000 témoins, le poids d’une fortune pétrolière est un argument irrésistible.

Entre l’Argentine triomphante de 1978 et l’équipe d’Argentine battue par la Belgique, le Brésil et l’Italie se place un événement important  : la guerre des Malouines, engagée à titre de diversion à la crise économique et politique du pays par la junte argentine. Le général Gallieri, successeur de Videla, espérait-il tirer d’une victoire militaire le même profit que de la victoire dans le Mundial 78  ? Le pari était risqué. En Espagne, juste avant le coup d’envoi de leur deuxième match, les joueurs argentins devaient apprendre que Port Stanley, la capitale des Malouines, venait d’être reprise par les soldats et les marins anglais. Aucun footballeur professionnel n’avait été mobilisé pour participer aux combats. Ceux qui, quatre ans plus tôt, avaient été portés par la vague nationaliste ont préféré vivre de loin la sanglante tragédie dans laquelle elle a entraîné le pays.