Les premières migraines de Guardiola par François Sorton

Les premières migraines de Guardiola par François Sorton
Pep Guardiola aime répéter une formule qui lui appartient et qui devrait inspirer ses confrères  :  «  Quand on gagne 1-0 en jouant mal, je dors mal, quand on perd 1-0 en jouant bien, je dors bien  ». En ce moment, l’Espagne doit avoir la migraine de ne pas dormir. Manchester City ne gagne plus et ne joue pas bien.

Le syndrome Lyon

Nous ne rentrerons jamais dans le cercle de ceux qui disent que Guardiola doit sa célébrité à Messi, Xavi et Iniesta. Nous pensons exactement le contraire  : si le trio magique a fait du Barça un chef d’œuvre du football, il le doit à Guardiola. Avec un autre entraîneur que lui, non, le Barça n’aurait pas été cette équipe que notre parti pris qualifie de meilleure équipe de tous les temps. Restons au rayon des subjectifs et des partis pris un peu frivoles  : Guardiola est le meilleur entraîneur de tous les temps parce qu’il a inventé un jeu que l’on ne connaissait pas, en approfondissant considérablement la défense en ligne avec recul-frein imaginée par Pierre Sinibaldi à Anderlecht au moment où le catenaccio de Herrera faisait fureur. On vous parie que dans 20 ans, on parlera moins du Brésil 1970 que du Barça 2010. Pour l’instant, on a envie de vous parler du 15 aoüt 2020, c’est récent. A Lisbonne, en quart de finale de la Ligue des Champions, Manchester City joue contre Lyon et s’incline 3-1 en déjouant. Ça arrive, sauf que pour la première fois de sa carrière, Guardiola a joué avec cinq défenseurs. Eternel perfectionniste, il a tenté beaucoup de systèmes –certains avec seulement deux défenseurs- mais là, on n’a rien compris. Comme si Lyon était sujet d’affolement. City avait plutôt raté sa saison en terminant à 18 points de Liverpool et Guardiola, frappé par une sorte de fatalisme, n’avait plus de solution magique. «  Je suis responsable à 100 % de l’élimination  » confessera l’Espagnol. Depuis, City a joué neuf matches de championnat, est 10 ème du classement avec 15 points et n’a pas réalisé un seul vrai bon match. Le week-end dernier, ce n’était plus à la mode, Guardiola a été battu par le Tottenham de Mourinho (2-0) selon un scénario prévisible  : Tottenham laisse le ballon et se contente de contrer avec son redoutable duo Kane-Son (le Sud-Coréen est un formidable attaquant très sous-estimé). Les Citizens ont fait tourner le ballon dans un jeu de possession sans relief, un ronron guère troublant. Et c’est ainsi depuis quelques mois  : l’équipe tourne en rond, piétine et n’arrive plus à déséquilibrer les défenses renforcées. On fait de la passe à 10, le dernier rideau devient infranchissable.

City comme le Barça

Inévitablement, City nous fait penser au Barça post-Guardiola ou à l’équipe d’Espagne de la dernière Coupe du Monde quand la possession de balle n’est plus un moyen pour désagréger l’adversaire mais une fin en soi marquée du sceau de l’impuissance. C’est la marque d’un certain déclin. Le jeu préconisé par Guardiola est tellement sophistiqué qu’il demande une exigence de tous les instants. Un peu de relâchement, un peu de déconcentration et la dernière passe n’est plus aussi millimétrée, le dernier geste est imparfait. Il faut être «  habité  » pour développer un jeu de virtuosité. Si vous l’êtes un peu moins, les coffres-forts résistent. On se gardera bien, après trois mois d’insuccès, de parler de Manchester City au passé (le Real, Barça, la Juve font aussi un départ poussif), on se gardera tout autant d’en parler au futur. Peut-être que la plus brillante équipe d’Europe_qui n’est pas la meilleure en ce moment_ ne passe –t’elle qu’un mauvais quart d’heure. Peut-être encore que la Ligue des Champions, objectif d’un club qui ne l’a jamais gagnée, remettra tout le monde en selle. Ça fait beaucoup de «  peut-être  » mais une certitude  : si un jour la lumière se rallume, c’est Guardiola qui aura appuyé sur le bouton.