Hidalgo  : humain, trop humain  ? par Simon Lebris

Hidalgo  : humain, trop humain  ? par Simon Lebris

Il portait bien son nom  : gentilhomme. Hidalgo en espagnol. Sa disparition est arrivée à son heure (87 ans), quand elle en surprend nombre d’autres en ces temps de guerre sournoise et invisible. Son temps à la tête de l’équipe de France (1976-1984) correspond presque exactement à celle où j’ai été journaliste de foot (1977-1982, avec un extra pendant l’Euro 1984, couronnement victorieux de sa carrière). Et j’espère que, même confiné, vous aurez pu ou pourrez lire le bel hommage de Vincent Duluc dans L’Equipe du 27 mars  : on peut se le procurer sur Internet.
Son arrivée dans le sillage et pour la succession de Stefan Kovacs s’était d’emblée accompagnée de suspicion. Y compris à “Miroir du football” malgré un premier entretien de bon augure mené par Jean Boully. Après les rodomontades et l’esprit adjudantesque de Georges Boulogne (qu’Hidalgo se refusa toujours de critiquer), après les condamnations sans aménité de Kovacs («  il n’a pas le “top niveau”  », pouvait-il dire de certains joueurs), Hidalgo a apporté un humanisme généreux qui se retrouvait autant dans ses propos que dans ses choix d’équipe et de tactique.
Il ne prenait peut-être pas à son compte la guerre anti-défensive que menait “Miroir“, mais il la menait dans les faits en prônant un jeu libéré, naturel, simple et inventif, avec l’aide de joueurs choisis avant tout pour leurs qualités techniques  : Michel Platini, 20 ans et déjà chef d’orchestre, Trésor, Michel, Guillou, puis Giresse, Genghini, Battiston etc. Dans ce football qui n’était pas encore gangréné par le conformisme et le béni-oui-oui, il n’hésitait pas à partager ses doutes comme ses enthousiasmes.
Je me souviens qu’à la veille d’un Eire-France qualificatif pour le Mundial argentin de doublement sinistre mémoire, assis au milieu de la quinzaine de journalistes qui avaient fait le voyage à Dublin, il avait posé tout simplement la question  : «  Qu’est-ce qui ne va pas dans le football français  ?  ». Hidalgo avait pris la liberté de tenir compte ou pas des réponses qui lui avaient été faites. Un des moments les plus émouvants fut pour moi ce match gagné 3-1 contre la Bulgarie, avec un milieu de terrain Bathenay-Platini-Guillou formidable d’équilibre et de créativité et qui s’était terminé par un Hidalgo mêlant ses larmes à la pluie arrosant le Parc des Princes.
En Argentine, son équipe a damé le pion et tenu tête à la formation drivée par Menotti, avant de s’incliner sur un pénalty alors litigieux (main de Trésor dans la surface, mais non intentionnelle). Pour François Thébaud, Hidalgo avait commis l’erreur de faire jouer Guillou contre l’Italie (1-2) et Michel contre l’Argentine alors que l’inverse eût peut-être changé le cours des choses. En 1978, Hidalgo avait dû affronter non seulement l’atmosphère hostile (dictature, mouvement pro-boycott, enlèvement avant la compétition), mais aussi une certaine coterie journalistique, regroupée sous la bannière d’un éphémère “France-foot 2”, qui n’appréciait guère sa manière douce.
Sa progression ne cessa de le mener pour grimper jusqu’au sommet de l’émotion avec le légendaire France-Allemagne de 1982 qui se conclut par un adjectif barrant la une de “L’Equipe”  : «  Fabuleux  !  » malgré une défaite aux tirs au but qui privait la France de sa première finale en Coupe du monde. On n’imagine pas une réaction pareille aujourd’hui, ou demain quand les affaires reprendront.
La victoire à l’Euro 1984, inaugurale en compétition, marqua l’apogée d’un homme qui avait su, dans un contexte de défiance jésuite bien à la française, faire triompher sa conception avant tout humaine du football, jamais mieux incarnée que par son “carré magique”.